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Florian Favre Trio / Florian Favre, début de partie

image © Marzio Yah
 
Florian Favre, pianiste fribourgeois, ancien footballeur, a sorti un nouvel album

MUSIQUE Le 34e Cully Jazz Festival s'ouvre ce soir. Il accueillera notamment Wayne Shorter, Ibrahim Maalouf et Dianne Reeves. Mais à côté des grands internationaux, une meute de jeunes Suisses éclatent au grand jour. Dont ce pianiste au nouvel album triomphal 

Match à domicile. Il y a quelques jours, dans les catacombes de la Basse-Ville de Fribourg, Florian Favre se fraie un chemin entre les rangs bondés. Il porte des pantalons noirs, une veste de croque-mort, il enfilera une cravate assortie à ses chaussettes de tennis, puis réapparaîtra enfin dans un t-shirt à rayures. Au fil de ce concert au club La Spirale où il a sans doute, adolescent, découvert le jazz, le pianiste se désenraidit. Il tente des blagues avec son bassiste, Manu Hagmann, qui les renvoie en revers. Il se joue beaucoup dans cette nuit froide. Le vernissage d'un disque neuf. Presque une finale de championnat. 

On parle de Florian Favre, en ouverture de cette 34e édition du Cully Jazz Festival, non seulement parce qu'il ouvrira le concert d'Ibrahim Maalouf le 16 avril mais parce qu'il incarne de manière dégingandée l'incroyable vitalité de la scène romande. Son nouveau disque en trio, Ur, ne cède à aucune des facilités du swing moderne, à ces longues plaintes de blues des Alpes qui n'en finissent pas de se répéter: il est composé, articulé, arrangé et, pourtant, il n'est absolument pas destiné aux savants, il est limpide. En plus de Manu Hagmann (dont les basses désengourdiraient un macchabée), ce trio accueille l'un des batteurs les plus stupéfiants de son temps, Arthur Hnatek, aperçu chez Tigran Hamasyan ou Erik Truffaz. 

Ce trio est une équipe, une squadra même. Et on n'est pas surpris d'apprendre que Florian Favre, avant de pratiquer l'ivoire par profession, a couru sur le gazon. «J'ai fait un gymnase sport-études à Lausanne. Jusqu'à 25 ans, j'ai hésité entre le football et la musique. J'ai joué à Yverdon, on a été champion suisse des moins de 19 ans. Plus tard, je me suis retrouvé à Romont. Et, du jour au lendemain, j'ai changé de vie. Je suis allé voir l'entraîneur, je lui ai annoncé que j'allais devenir musicien.» Même s'il se décrit comme un «gros flemmard», Florian a gardé des qualités de défenseur central. Il est rapide, il anticipe le jeu. Il pense collectif. 

Liberté revendiquée 
Il a 29 ans. Enfant de la campagne broyarde, il est le produit même de l'éducation suisse. Conservatoire de Fribourg. Apprentissage du classique, puis du jazz. Haute Ecole de jazz de Berne. A sa première audition, sa professeure l'autorise à trafiquer un blues de sa plume. Il a 10 ans. Chez lui, il y a de la musique partout: son père est directeur et compositeur pour brass band, ses cousins jouent de la basse, de la guitare et tout le monde chante. Voilà pour le contexte. Mais ce qui frappe, chez Florian, comme chez une bonne partie de sa génération dans ce pays, c'est l'équilibre stimulant entre le travail, plutôt besogneux, et la liberté, sans cesse revendiquée. «Je passe énormément de temps à écrire, à élaborer mes morceaux. J'essaie de maintenir un sens dramaturgique, ne pas me contenter de deux ou trois accords. Mais ensuite, il faut se permettre de tout péter.» 

Jouer électronique 
A La Spirale, l'autre soir, Florian Favre donnait l'impression d'avoir tout à tour entre les mains les leçons de piano de Ravel, l'iconoclasme gracile d'un Duke Ellington, le faux lyrisme d'un Jason Lindner. Aucune fausse pudeur chez ce pianiste, aucune peur apparente. Il joue électronique. Il se prépare à enregistrer son premier projet en tant que rappeur (même s'il ne daigne pas envoyer l'un de ses textes pour examen). Et il continue avec le pianiste classique Lucas Buclin de proposer des spectacles de pédagogie drolatique où le public lui-même est soumis à la question. Il vient en plus de passer deux mois à Brooklyn puis à Harlem, 157e rue, en plein royaume latino, histoire de confirmer qu'un pianiste qui se lève tard est un pianiste mort. 
Ur est donc un chef-d'œuvre de pulsion contenue, d'écriture minée. Florian Favre vient de remporter plusieurs prix au Leuven Jazz Festival de Belgique. L'une des grandes vertus de son jazz, c'est qu'il ne s'écoute pas forcément au coin du feu. Il est embrasement. Il est pop. Il ne s'excuse pas de son exigence et n'assène pas non plus son bon goût. Il est à l'image du jazz romand que l'on aime. Eruptif 

Il vient de passer deux mois à Brooklyn puis à Harlem, 157e rue, en plein royaume latino, histoire de confirmer qu'un pianiste qui se lève tard est un pianiste mort 

A Ecouter: Florian Favre Trio, «Ur» (Traumton)


Arnaud Robert
Le Temps / 7 avr. 2016

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www.manusound.net